Loin de toute terre hospitalière, au coeur du Pacifique Sud, aux prises avec une dépression la plus creuse rencontrée depuis son départ voici un mois de Brest, (975 hpa!!) et la menace avérée des icebergs, Noël est décidément une période difficile à vivre dans ces latitudes : « ll y a 4 ans (2003), j’avais déjà bien « dégusté » pour Noël, et Ellen aussi à en croire ses notes que je feuillette… Noël tout blanc ; Icebergs et déferlantes blanches. Pas de lumière mais tout est blanc. C’est étonnant de penser que ces icebergs constituent un morceau de l’antarctique, on imagine les ours blancs encore dessus… C’est à la fois impressionnant et très beau! ». En bordure Nord Ouest du centre dépressionnaire, le marin solitaire sacrifie tout à la bonne marche de son trimaran géant, sans ménager sa peine en multipliant les prises de ris. L’oeil rivé au baromètre, il doit aussi caler avec précision sa trajectoire sur le fort flux de Sud Ouest qui enfle vers le cap Horn. Deux ris, puis trois ris trinquette. « J’ai dû hier freiner très fort le bateau dans les déferlantes » explique Francis » J’ai encore 32 noeuds et il va forcir jusqu’au bord de la dépression, 40-45 noeuds… Le multi aime le medium… dès que la mer déferle, le bateau se met en crabe et ce n’est pas terrible pour la vitesse… la mer était très grosse cette nuit. J’ai fait un départ au surf sur la crête d’une vague, avec plantage à la clé… »Prévenir les concurrents de la Barcelona…Marin jusqu’au bout des ongles, Joyon, la stupéfaction et disons le, l’émerveillement passé, s’est empressé de relever la position des icebergs croisés cette nuit à cette latitude si inattendue. Et ses pensées d’aller naturellement vers d’autres marins appelés à traverser ce champs de mines : « On considère traditionnellement que le danger est absent au delà de 55 N, mais cette année, les glaces dérivent un peu plus haut. J’ai relevé leurs positions pour les communiquer aux concurrents de la Barcelona World Race… » Et d’expliquer… « J’ai eu bien de la misère dans les 56èmes avec les icebergs et sans visibilité. Je suis remonté de quelques degrés et c’est alors que j’en ai vu 4 ici. Le radar m’a alerté après une nuit galère dans du vent fort, 3 ris trinquette… J’étais à 4 milles de l’iceberg… dans les grains et la pluie je ne vois pas grand chose et le radar fait bien son boulot… Je zigzague entre eux, je m’écarte d’ eux et j’observe l’eau à la recherche de growlers… Le dernier était plus loin, 6-7 milles. Il faisait une tache énorme sur l’écran radar… Je pense qu’il mesurait bien 300 à 400 mètres de long… »Affronter le pire en attendant le meilleurAlors qu’il continue d’aligner des journées à près de 500 milles, et que son avance virtuelle sur Ellen MacArthur tutoie les 3 000 milles, Francis Joyon dévore avec calme et application son « pain noir de Noël ». Le menu s’annonce copieux, avec dans l’ordre de passage des plats, stratégie et positionnement vis à vis de la dépression, vents soufflant en tempêtes et déferlantes, le tout sous la menace des icebergs. « Je commence à être fatigué » lâche simplement Francis. « Je suis dans la tempête. 975 hpa devant moi. On n’en voit pas beaucoup de si creuses en Bretagne. Cela ne fait que commencer. Je vais « tangenter » cette « dépression » au plus près du centre par le nord. Il n’y a pas d’autres solutions; Je dois y passer. .. » Et de conclure, désarmant de laconisme : » Il faut que je me repose un peu maintenant et ce sera parfait…. »
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