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Route du Rhum 1998 : La très longue route

1998. En cette fin de millénaire, la Classe des multicoques ORMA commence son ascension. Le triomphe, pour la seconde édition consécutive, de Laurent Bourgnon dans la Route du Rhum va véritablement déclencher un puissant, et relativement éphémère, engouement pour les trimarans de 18,28 mètres. Si 8 trimarans performants sont au départ de Saint-Malo à l’automne 1998, ils seront 18 quatre ans plus tard, attirés par les trompettes de la renommée médiatique déclenchée par Primagaz. Francis Joyon lui, sent venir la fin d’un cycle. Son plan Irens lancé en 1994 est au maximum de son optimisation, et Francis voit la concurrence basculer dans une ère technologique « No limit » qui ne correspond guère à sa philosophie maritime. Mais Francis adore cette Route vers les Antilles, et il est plus que jamais d’attaque pour tenter, à l’instar de sa route extrême entre Plymouth et Newport deux plus tôt, de nouveaux paris météorologiques et sportifs.

Foils et mât basculant
Construit en 1994 avec des moyens financiers limités, mais avec la passion sans borne de Francis et Gil Carmagnani, le trimaran premier d’une longue saga, a sagement progressé au fil des années. Aux foils apparus en 1997, Francis a pu ajouter début 1998, un mât basculant, le « must » au sein de la classe. L’heure est plus que jamais à la puissance, et les nouvelles unités, La Trinitaine (Marc Guillemot), Groupama (Franck Cammas), Brocéliande (Alain Gautier), sont désormais presque aussi larges que longues. Mais Francis connait les moindres centimètres carré de son bateau, et sait dans quelles configurations sa monture pourra rivaliser avec les meilleurs.

Bonne sortie de Manche
Dès le départ ce 8 novembre 1998, Francis est dans le coup, second à Fréhel puis en tête au large de l’île Vierge. Le passage de l’ouragan Mitch fin octobre 1998 a quelque peu désorganisé l’agencement traditionnel de l’anticyclone des Açores. Les navigateurs solitaires cherchent un trou de souris au nord de l’archipel. A la surprise générale, Francis Joyon et Loïck Peyron plongent au sud, au plus près des Canaries. Peyron et son Fujicolor II, sister-ship du trimaran de Francis, se ravisent vite, derrière le leader Bourgnon qui semble avoir fait le trou. Francis a parié sur l’établissement rapide d’un alizé tonique. Mais l’anticyclone des Açores semble enfler sur sa route, le contraignant à serrer au plus près les côtes Africaines pour le contourner par le sud.

Francis le Mauritanien
Loin de la route directe et de ses adversaires, Joyon insiste, persiste, s’entête le long du Sahara. Ce n’est qu’au large des côtes Mauritaniennes qu’il peut enfin empanner, et commencer à mettre franchement de l’ouest dans sa route. Plus de course à la victoire pour Francis, mais toutes les douleurs de l’exploit. Privé de pilotes, il doit barrer en permanence pour maîtriser cet alizé tonique, et cette mer désordonnée qui bouscule le bateau. Le sommeil se réduit à de simples et fugitifs assoupissements qu’il doit en permanence combattre pour conserver un peu de vigilance à la barre et maintenir son bateau à l’endroit. « Je suis allé à la limite de mes forces physiques et mentales, en proie aux hallucinations. » avouera-t’il à Pointe-à-Pitre, au terme de 13 jours, 13 heures et 41 minutes de souffrance. « J’entendais des voix, qui me parlaient, me disaient où aller… Effrayant ! »

30% de route en plus !
Francis Joyon se classe 6ème, à 29 heures de Laurent Bourgnon. Mais les observateurs relèveront l’exploit surhumain du marin solitaire en constatant qu’au lieu des 3 538 milles du parcours théorique, Francis a en réalité couvert 4 988 milles, soit plus de 2 600 km de plus que ses adversaires, à 15,33 noeuds de moyenne !

La Route du Rhum lui a une nouvelle fois imposé ses caprices et dicté sa dure loi de transat en solitaire. Francis s’y est pourtant de nouveau révélé dans toute sa superbe résilience, préfigurant l’homme qui allait, quelques années plus tard, avec les mêmes méthodes et la même endurance au mal, détenir par deux fois le record du tour du monde en solitaire.

Rendez-vous mercredi prochain pour revenir sur la quatrième participation de Francis Joyon à la Route du Rhum en 2002 !

 

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